27 Avr
  • Par SEVE Emploi
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Encadrant.e.s. techniqu.e.s : et si vous réalisiez vous-même une PMSMP ?

Julien Ducor exerce son métier d’encadrant technique à Cycles-Re, chantier d’insertion toulousain dont l’objectif consiste à détourner des filières de recyclage des vélos cassés et abandonnés. Cycles-Re propose de donner une seconde vie à ces vélos destinés au rebut et ainsi prolonger la durée de vie de l’objet, tout en embauchant et formant des salariés en transition professionnelle : « le vélo éthique et unique made in Toulouse ! »

Dans ce cadre, il propose régulièrement aux salariés accueillis d’effectuer une PMSMP ? Qu’es aquò[1] ? C’est une Période de Mise en Situation en Milieu Professionnel, qui permet à un salarié de passer du temps chez un autre employeur, afin d’y développer son expérience et ses compétences, ou encore de tester son projet professionnel.

[1] Qu’est-ce que c’est ? Comme on le dit en Occitanie !

Il a eu l’idée de réaliser lui-même une immersion professionnelle, dans un secteur dont il ne connaissait pas tous les contours…

Julien, comment êtes-vous devenu encadrant technique ?

Je suis devenu d’abord éducateur spécialisé en 2010, et j’ai toujours été fervent militant de l’usage du vélo. Dans ce métier, c’est donc naturellement que je l’ai utilisé comme support pédagogique, dans une stratégie de transmission. Cela m’a permis de concilier mes deux intérêts, transmission et bricolage vélo, au travers de mes missions. J’ai obtenu en parallèle un CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) de mécanicien vélo, qui m’a amené à effectuer une première immersion professionnelle de trois mois dans le milieu du cycle, où j’ai un bon réseau. Ce stage m’a conduit en Belgique, et s’est transformé en une installation d’une année ! À mon retour, fin 2015, j’ai été recruté pour devenir encadrant technique de Cycles-Re, à la genèse du projet. Cette première mise en situation a été très inspirante, et m’a permis d’appréhender les enjeux stratégiques de la transmission des savoirs, au-delà de l’aspect purement mécanique. Comment faciliter l’acquisition de nouveaux savoirs, dans un secteur que l’on ne connaît pas, et où les pièces semblent parfois se ressembler ? J’ai observé l’utilisation de codes couleurs, de parties peintes, pour faciliter le repérage des pièces, ou le rangement des outils dans l’atelier, par exemple. Ce sont des méthodes que nous[1] mettons en pratique aujourd’hui à Cycles-Re.

Et comment avez-vous eu l’idée d’effectuer vous-même une PMSMP ?

Le déclic est venu d’un jeune salarié, qui a abandonné son immersion au bout de seulement deux heures dans l’entreprise, alors qu’il souhaitait connaître les métiers de la peinture industrielle. Le premier réflexe pourrait être de questionner sa motivation. En échangeant avec lui, j’ai compris qu’il n’a pas été accueilli dans l’entreprise, n’a pas trouvé de vestiaire, est arrivé dans un immense hangar, sans connaître personne, sans aucune instruction ni consigne…

Suite à cette expérience, j’ai moi-même effectué une PMSMP dans cette structure. Plusieurs intérêts pour moi à cela : mieux connaître le secteur de la peinture industrielle, ici dans l’aéronautique, et observer les pratiques. Car la peinture d’un avion, c’est un enjeu fort pour l’image des compagnies aériennes, et les négociations qu’elles doivent mener. Cela n’a rien d’accessoire. Dans ce secteur, autour de ce métier, il y a également beaucoup de « petites mains », qui préparent le travail des peintres, ou nettoient ensuite. J’ai observé la réalité de ces métiers durant deux jours.

Cela me permet aujourd’hui de savoir comment préparer le salarié à cette période, de savoir de quoi je parle. Le rôle lié à la prévention est important : sur les EPI (équipements de protection individuels) qui relèvent de la responsabilité du salarié dans certains cas, comme les utiliser même si les autres salariés en poste ne le font pas, mais aussi sur le rôle d’observation et la posture à adopter, quand on met le pied dans une entreprise que l’on ne connaît pas. Nous avions déjà, à Cycles-Re, un système de tutorat entre les salariés en poste et les nouveaux arrivants, dont on mesure tout l’intérêt !

Suite à cette immersion, j’ai effectué de nombreuses autres visites d’entreprise, jusque dans le BTP. Des similitudes se remarquent, et depuis, nous mettons en place des tutoriels, utiles.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres encadrants techniques qui souhaiteraient se saisir de votre initiative ?

Ne pas hésiter à se dire que l’on ne sait pas tout ! Le mot qui me vient, c’est humilité dans la démarche. Être à la fois dans les postures d’« appreneur » et d’apprenant. Oser voir la réalité permet d’adopter des pratiques professionnelles plus maîtrisées, un discours plus structuré. Je suis de nature curieuse, et c’est une expérience à refaire ! Cela m’a enrichi. Je me suis rendu compte de l’importance de la relation humaine dans les conditions d’accueil, qui influent directement sur la posture des candidats. Il faut en effet tenir compte des personnes, de leur vision du travail, de la hiérarchie, qui n’est pas la même selon notre expérience du travail, notre âge.

Comment trouver sa place si l’on n’est pas bien accueilli ? À Cycles-Re, nous sommes dans une démarche d’accompagnement bienveillant, et la réalité peut être bien différente dans d’autres entreprises. Cela m’a interrogé sur l’entreprise en général et ses formes de management.

SEVE Emploi vient éclairer d’une façon nouvelle cette expérience. Je sais aujourd’hui que nous aurions la légitimité à revenir sur cette situation avec cette structure, à s’autoriser à en parler de pair à pair. C’est une prise de conscience de nos forces, et de ce que l’on peut proposer aux entreprises. Nous ne sommes pas seulement là pour obtenir des stages ou PMSMP. Nous pouvons aider à développer des pratiques plus respectueuses des salariés, une lecture différente. Nous avons des choses à apporter. Le monde de l’entreprise n’est pas figé.

[1] Le chantier compte deux ET, pour environ de 10 à 14 salariés.